On célèbre souvent le sport comme
une valeur de partage et on attribue souvent la phrase « l’essentiel,
c’est de participer » à l’inventeur des jeux olympiques. Rien n’est moins
faux. Pierre de COUBERTIN tenait d’autres propos :
« Il y a
deux races distinctes : celles au regard franc, aux muscles forts, à la
démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l'air
vaincu. Hé bien ! C'est dans les collèges comme dans le monde : les
faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n'est appréciable qu'aux
forts. » (Éducation anglaise).
« La
théorie de l'égalité des droits pour toutes les races humaines conduit à une
ligne politique contraire à tout progrès colonial. Sans naturellement
s'abaisser à l'esclavage ou même à une forme adoucie du servage, la race
supérieure a parfaitement raison de refuser à la race inférieure certains
privilèges de la vie civilisée. » (The Review of the Reviews, avril
1901).
On pourrait s’étonner que
l’auteur méprise l’esclavage en affichant son racisme. Si le colonialisme vaut
mieux que l’esclavagisme, ce n’est pas qu’il élève les « races inférieures »
au niveau des « races supérieures », mais que le racisme induit par
le colonialisme n’est pas de la xénophobie. En réalité, le racisme de Pierre de
COUBERTIN est l’extension du nationalisme appliqué à d’autres peuples, la
marque des plus forts, comme on le comprend de la première citation.
D’ailleurs, le racisme n’est pas
lié à la couleur de la peau. Les nazis concevront les Germains comme le peuple
le plus proche des aryens et les aryens comme la race la plus pure. Le judaïsme
est une religion mais les Juifs sont considérés comme des sémites. Les
Mexicains sont considérés comme une race à part entière sur les cartes
d’identité américaine, alors que les Européens les classeraient parmi les
« Blancs ». Les « races » humaines n’existant pas, on doit
en conclure que c’est le racisme qui crée les « races », et non
l’inverse.
Quel lien existe-t-il entre le
racisme et le nationalisme ? Replaçons les citations de COUBERTIN dans
leur contexte. Au 19ème siècle, le racisme devient scientifique, il s’appuie
sur trois disciplines : la biologie, avec le darwinisme social,
l’archéologie, avec le mythe des Indo-Européens, et la philosophie, avec la
théorie de l’Etat. Ces errements de la science nous permettront de lier le
façonnement du racisme à la montée des nationalismes.
Juan Antonio Samarach , président honoraire à vie du CIO, lors des célébrations du 38ème anniversaire de la prise de pouvoir du dictateur Franco, en 1974. Source : Le coin du sport |
Le
darwinisme social
La racisme justifie le
colonialisme, alors même qu’il justifie le colonialisme par le résultat du
colonialisme, ce qui montre bien l’inanité du raisonnement : la race
blanche est supérieure, parce qu’elle domine les autres, et c’est parce qu’elle
domine les autres qu’elle prouve qu’elle est supérieure. C’est ce qu’on
appellera le darwinisme social.
Cette expression, le
« darwinisme social », fut inventée pour différencier la théorie
biologique de son utilisation idéologique, mais Charles DARWIN est également un
homme de son époque et sa théorie de la sélection naturelle comporte le même
raisonnement tautologique : seuls les plus forts survivent, et ce qui
prouve qu’ils sont les plus forts, c’est justement le fait qu’ils survivent, si
bien que l’on aura prouvé qu’une chose, c’est que les survivants sont bien ceux
qui survivent ! [i]
Un autre savant britannique,
Francis GALTON, qui était le demi-cousin de Charles DARWIN, inventa en 1883 le
terme d’eugénisme (the eugenics) pour désigner l’amélioration des
espèces, par la sélection des caractères jugés souhaitables, l’élimination des
caractères indésirables ou l’amélioration des conditions, les questions
génétiques et sociales étant encore mélangées à l’époque. Eugénisme et darwinisme
social ne sont donc pas des exceptions, mais les conséquences d’une façon de
penser.
Le tournant du siècle voit
d’ailleurs se multiplier les associations entre race et science, avec
l’expression « hygiène raciale », en Allemagne ou en Suède [ii] et
celle de « lutte pour la survie » dans la politique internationale [iii]. Le développement
de l’éducation sportive qui en découle ne vise pas seulement à améliorer le
corps mais aussi la discipline. En effet, on ne s’entraîne pas seulement à la
gymnastique, mais aussi au tir et aux exercices militaires [iv].
Athènes : 1896. |
Le
mythe des Indo-Européens
L’hypothèse indo-européenne était
une théorie linguistique avant de devenir un fait historique. En 1813, le
savant anglais Thomas YOUNG invente ce terme pour désigner un rapprochement
qu’on avait observé entre les langues grecque, latine, perse, germanique,
slave, celte et balte. Quelques années plus tard, Franz BOPP, un linguiste
allemand, s’emploie à écrire la Grammaire comparée des langues des langues
sanscrite, zende, grecque, latine, lithuanienne, slave, gothique, et allemande,
publiée entre 1833 et 1852.
De l’origine commune de ces
langues, on en déduisit l’origine commune des peuples européens et de certains
peuples d’Asie, partis d’un foyer commun, en Ukraine, en Sibérie ou en
Himalaya. Dans ce cadre, le peuple à l’origine de ces langues, les
Proto-indo-européens, était aussi à l’origine de toutes les grandes cultures de
l’antiquité. Les Aryens ne constituent en vérité qu’une autre hypothèse
linguistique, mais un diplomate français, Joseph Arthur, comte de GOBINEAU,
prétendit dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, en 1855,
que les Aryens étaient une race pure, blanche et blonde. Il suffit à des
chercheurs allemands [v]
d’associer la « race aryenne » aux Allemands pour motiver la théorie
d’une race supérieure qui conduisit les nazis à l’extermination des Juifs qui
n’étaient pas, eux, d’origine indo-européenne [vi]. On
n’imaginait pas alors que les cultures puissent s’influencer sans qu’il y ait un
déplacement des populations.
Le mythe des Indo-Européens fut
une invention pratique. Avant de servir l’idéologie nazie, elle permet de
comparer les peuples anciens entre eux et fut donc admise par les historiens de
l’époque. Fustel DE COULANGES, par exemple, utilise ce « fait » pour
légitimer son étude comparée des Grecs et des Romains, dans la Cité antique :
« On réunit ici dans la même étude les Romains et les Grecs, écrit-il dès
la première page de son introduction, parce que ces deux peuples, qui étaient
deux branches d’une même race, et qui parlaient deux idiomes d’une même langue,
ont eux aussi un fonds d’institutions communes et ont traversé une série de
révolutions semblables ». On confond ici race et culture.
La recherche des origines des
espèces et des peuples suit le mouvement d’ensemble de la science du 19ème
siècle qui décrit des phénomènes nouveaux, les organise horizontalement dans
des catégories (les classifications des espèces, par exemple) et verticalement
(en recherchant les causes). L’explication scientifique vise ainsi à réduire la
part du hasard. L’explication scientifique du phénomène social visera donc à
réduire la part de la liberté individuelle. On observera cette même logique à
l’œuvre dans la théorie de l’Etat.
La
théorie de l’Etat
De manière plus générale, la
société occidentale du 19ème croit incarner la marche de la Raison dans
l’Histoire. Le sens de l’histoire est donc le sens de son histoire,
celui d’aboutir à la supériorité de la société occidentale.
Le renversement du rôle de l’Etat
est sans doute significatif. Avant 1789, les philosophes considéraient l’Etat
comme un phénomène dangereux. « Ainsi que l’avait souligné Tocqueville, la
monarchie française du 18ème siècle avait échoué à gérer l’Etat
comme si ce dernier avait constitué un prolongement du corps du roi, un
« état » au sens ancien donné à ce terme par la Renaissance. » [vii]. En
France, la révolution permit de séparer la personne du roi par une personne
morale ou juridique, l’Etat, qui exprime désormais la volonté générale. L’Etat
devient ainsi une institution positive.
« En
Allemagne, le gonflement des administrations, centrales ou locales, au cours du
XIXème siècle, amena les nouveaux philosophes, historiens, ou sociologues
professionnels à accorder une attention particulière à l’Etat, à commencer par
Hegel. Dans la théorie prussienne, l’Etat était une institution nationale
dépassant les intérêts égoïstes de la société. » [viii].
Ainsi, HEGEL expliquera que
l’Etat est nécessaire à l’organisation des peuples, qui sont eux-mêmes
nécessaires à l’organisation des individus, tandis que SCHELLING trouvera dans
le monothéisme l’aboutissement du polythéisme, qui est lui-même la conséquence
de la diversité des peuples…
Ce faisant, ils raisonnent à
l’envers. Ils partent de la situation actuelle pour expliquer comment elle est
devenue possible et font de celle-ci l’aboutissement logique de tout ce qui
aura précédé, de telle manière qu’il n’y avait pas d’autre résultat possible.
Toute l’histoire de l’humanité tendra nécessairement vers cet unique but, donné
à l’avance, que les théologiens appellent la « cause finale ».
Autrement dit, les théoriciens de l’Etat sont devenus les théologiens de
l’Histoire.
Théorie de l’Etat et darwinisme
social ont ceci en commun que ce sont deux formes de déterminisme. L’homme incarnait
les qualités de sa race, en France, celle de son peuple, en Allemagne. Les
philosophes allemands ajoutaient que l’Etat incarnait l’esprit du peuple, ce
que l’on appelle le nationalisme völkisch .
Saluts fascistes sur le podium des JO de 1936. Source : Le Point |
Nous l’avons vu avec les
théoriciens de darwinisme, de l’aryanisme et de l’Etat : la plupart des
intellectuels du 19ème siècle, qu’ils soient biologistes, historiens
ou philosophes, font de leur société le résultat non seulement logique mais
nécessaire de l’histoire, dans une forme aiguë de l’ethnocentrisme.
Ce jeu intellectuel pourrait
prêter à rire s’il n’aboutissait à la création des zoos humains dans les années
1870 [ix] et
aux théories racistes qui ont précédé la seconde Guerre mondiale. Ce racisme se
retrouve d’ailleurs dans l’élitisme du comité international des Jeux
Olympiques, qui comprenait 28 aristocrates ou militaires sur 44 membres, lors
de leur résurrection en 1896 [x]. Même
la participation d’autres « races » aux jeux olympiques de 1904
n’était pas accordée dans le but de partager une pratique sportive, mais dans
l’intention de prouver la supériorité de l’Homme Blanc.
Quelques années après la
résurrection des Jeux Olympiques, Mussolini engageait l’Italie dans la
refondation de l’Empire romain. Or, la fascisme favorisait le sport en même
temps qu’ils établissaient des lois raciales, à l’encontre des Noirs et des
Juifs, dès 1938 [xi].
Aujourd’hui encore, les matchs de
football italiens sont abîmés par des actes et des propos racistes ou antisémites de la part de supporters mais aussi de certains joueurs. Paolo DI
CANIO, par exemple, adressa un salut fasciste au public à quatre occasions en
2005. Le maire de Rome lui-même, Gianni ALEMANNO, annonça en 2008 vouloir
rebaptiser le nom d’une rue par celui de Giorgio ALMIRANTE, antisémite notoire
et signataire des lois raciales [xii].
Le footballeur Paolo Di Canio salue ses supporters. Source : News MSN |
On ne s’étendra pas sur la
politique de l’immigration des Etats-Unis, qui s’appuie sur le concept de race,
et sur la politique de l’immigration choisie, qui s’appuie sur des quotas par
métier et par pays, ce qui nous éloignerait du sport, mais l’on remarquera que l’immolation
des moines tibétains n’a pas empêché Pékin d’accueillir les Jeux Olympiques en
2008, ce qui montre que les Droits de l’Homme ne concernent pas plus le sport
aujourd’hui qu’en 1936 [xiii].
Il n’est donc pas possible de
séparer les jeux olympiques de l’état d’esprit dans lequel ils se déroulent.
Croire que cette institution vit en dehors de l’histoire serait une erreur. A
l’inverse, on pourrait s’inspirer des premiers jeux olympiques, qui ont été
inventés en Grèce il y a plus de 2500 ans. A l’époque, les jeux panhelléniques
d’Olympe, de Delphes, de Corinthe et de Némée, étaient l’occasion d’une trêve
sacrée entre les cités grecques, durant laquelle il n’y avait plus ni guerre,
ni invasion.
[i] Cette critique ne remet
pas en cause la sélection naturelle des individus les plus adaptés à leur
environnement. Elle insiste seulement sur le caractère insuffisant de cette
explication. C’est la raison pour laquelle les successeurs de Darwin cherchent
à préciser la notion d’environnement, les rôles respectifs de l’individu et de
l’espèce dans la constitution des critères de sélection, et le mécanisme des
mutations.
[ii] On citera par exemple la
fondation de la Deutsche Turnerschaft à Weimar en 1868.
[iii]
Cf. Ligue Coloniale, en 1887, la Ligue Navale,
en 1897, la Ligue Militaire, en 1912, et la Ligue Pangermaniste ( Alldeutscher
Verband,) en 1891. Voir R. CHICKERING, We men Who Feel Most German, Londres, 1984, J. DÜLFFER,
K. HOLL, éd., Bereit zum Krieg, Göttingen, 1986, M. PETERS, Der Alldeutsche
Verband am Vorabend des Ersten Weltkrieges 1908-1914, Francfort/Main, 1992.
[iv] Voir R. GIRARDET, La
société militaire dans la France contemporaine 1815-1939, Paris, 1950.
[v] Ludwig GEIGER, Karl PENKA.
[vi] Comme le signale Maurice
OLENDER, dans Les langues du Paradis. Aryens et Sémites : un couple
providentiel (Paris, 1989), l’hypothèse indo-européenne s’opposait à la
croyance que les hommes descendaient tous d’Adam et Eve, comme l’écrit la Bible,
et que l’hébreu constituait l’origine des langues de l’humanité, selon une
opinion répandue à la Renaissance.
[vii] C. A BAYLY, The Birth
of the Modern World 1780-1914, 2004, La naissance du monde moderne (1780
– 1914), 2004, Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, Paris, 2006,
p. 284.
[viii] C. A BAYLY, op. cit., p. 284.
[ix] En Allemagne, en France
et ailleurs, on présentait au public des Samoa, des Lapons, des Nubiens, des
Esquimaux… comme on exhibe des animaux exotiques. Voir Zoos humains, sous la direction
de Nicolas BLANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOETSCH, Éric DEROO et Sandrine
LEMAIRE, Paris, La Découverte, 2002.
[x] Voir Marc FERRO, La
Grande Guerre 1914-18, Paris, 1990, p. 32.
[xi] Voir en particulier le Manifesto
della razza et le Manifesto degli scienziati razzisti, qui appuie le
racisme sur des preuves « scientifiques ».
[xii] Gorgio ALMIRANTE signa
le Manifeste de la race en 1938, il a été secrétaire de rédaction de la
revue Défense de la race en 1942, membre de la République sociale de
Salo fondée par Benito Mussolini en 1943 et membre du parti d’extrême droite
MSI en 1946. Après la guerre, il abandonna les propos racistes mais pas
l’idéologie fasciste, dont il prétendait être l’héritier A la fin de sa vie, il
renia ses écrits et se rapprocha de la communauté juive.
[xiii] Le déroulement des JO de 2008 à Pékin a été l'occasion pour les multinationales de faire valoir leur marque en Chine. Voir l'excellent article du blog Contre les jeux olympiques 2010.
[xiii] Le déroulement des JO de 2008 à Pékin a été l'occasion pour les multinationales de faire valoir leur marque en Chine. Voir l'excellent article du blog Contre les jeux olympiques 2010.
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