On associe généralement l’antiquité à la mythologie et la mythologie à l’univers de l’enfance, parce que ces histoires nous ont été présentées comme des légendes appartenant à l’enfance de la civilisation. Cette situation jette un voile sur la connaissance de l’antiquité grecque.
Nous retracerons ici l’histoire
de cette culture, de la perception que nos ancêtres avaient de l’antiquité
grecque et de l’usage qu’ils en faisaient. Après avoir rappelé la place de
l’antiquité grecque dans l’histoire de l’art et dans la littérature, nous
analyserons la signification de cette référence culturelle dans la littérature et l'historiographie du 19e siècle au début du 20e siècle. Nous montrerons ainsi que cette référence n’est pas idoine, mais
qu’elle porte avec elle un sens et une histoire chargée de sens.
L’antiquité
grecque dans histoire de l’art : cinq siècles d’influence
L’antiquité grecque occupe une
place importante dans l’histoire de l’art, depuis la Rinascita italienne
à la fin du 14ème siècle jusqu'au 19ème siècle, en
passant par la querelle des Anciens et des Modernes au 17ème siècle.
Ce mouvement touche l’ensemble des arts : la poésie, le théâtre,
l’architecture, la musique…
En parallèle, l’archéologie
augmente la connaissance de l’architecture et de la sculpture antiques. On peut
situer le point de départ vers 1430, quand Flavio BIONDO entreprit des fouilles
dans le Forum romain, et le point d’arrivée avec la découverte de Troie par
Heinrich SCHLIEMANN en 1874 [i]. La
demande d’objets antiques fut si importante qu’elle engendra la création de
nombreuses copies, notamment celles de l’Hercule Farnèse, exhumé à la
Renaissance.
En France, l’académisme préfère Rome à Athènes. Les Grands Prix de l’Ecole des Beaux-Arts, par exemple, étudient l’architecture en Italie. Ils s’intitulent d’ailleurs les « Grands Prix de Rome ». Ce n’est qu’en 1845 qu’ils ont l’autorisation d’aller étudier les monuments en Grèce.
« Le
premier envoi fut l’Erechtéion d’Athènes par Ballu, le futur auteur de l’église
de la Trinité à Paris. En 1852, Charles Garnier, le futur architecte de
l’Opéra, reconstitua Egine. En 1883, Laloux, futur auteur de cette gare d’Orsay
qui va devenir à Paris le Musée du 19e siècle, reconstituait
Olympie. » [ii].
Les artistes ne bénéficient par
seulement des fouilles archéologiques, ils sont enchantés par la découverte de
la couleur. En 1827, en effet, l’architecte HITTORF avait supposé que
l’architecture grecque devait être polychrome [iii].
« A la Grèce idéale, blanche, virginale et terne, des
néo-classiques, les architectes romantiques du 19e siècle opposent
une Grèce colorée, lyrique, déjà orientale. L’éclectisme du Second Empire et de
la Troisième République sera néo-grec (…). » [iv].
A la peinture et à l’architecture s’ajoutent deux événements politiques, au sens premier du terme [v] : la guerre d’indépendance de la Grèce en 1821 [vi] et la création dans jeux olympiques modernes par Pierre de COUBERTIN en 1896. Le 19ème siècle marque donc la résurrection culturelle de la Grèce.
L’antiquité
grecque dans la littérature : le cas des récits de voyage
Si les auteurs grecs étaient déjà
connus d’une élite de clercs, débattus au sein des Universités de Paris,
Bologne, Salamanque, Oxford et Cambridge au 13ème siècle, la connaissance de l’antiquité grecque se
diffuse grâce à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg vers 1450, qui
remplace la copie des livres à la main. Les siècles qui suivent voient les
clercs perdre leur monopole, les langues vernaculaires remplacer le latin et
des bibliothèques se créer partout en Europe.
Dès lors, la perception de
l’antiquité gréco-romaine se modifie. La place qu’occupent les récits de voyage
en Grèce du 17ème au 20ème siècle nous permettra
d’illustrer ce changement.
Au 17ème et au 18ème
siècles, le voyage en Grèce est un voyage imaginaire, source de réflexions
philosophiques[vii]. Ils sont moins destinés
aux enfants, qu’il suffirait de divertir, qu’à l’esprit enfants, qu’il s’agit
alors de cultiver. Les aventures de Télémaque, fils d’Ulysse, par
exemple, était destiné à l’éducation du jeune duc de Bourgogne, successeur
présumé de Louis XIV s’il n’était pas mort avant l’heure. Fénelon se
représentait lui-même sous les traits du vieux Mentor. Cette relation de maître
à disciple montre bien qu’il s’agissait d’un récit initiatique.
Dans la première moitié du 19ème
siècle, le voyage devient réel, la Grèce est intégré à un parcours plus vaste
qui passe par l’Egypte, le Liban, la Syrie, la Palestine, pour atteindre la
Turquie. La Grèce est un intégré à la mode bourgeoise du voyage en Orient et
constitue souvent la dernière étape sur le retour avec l’Italie[viii].
La Grèce subit la concurrence de l’exotisme, porté par l’essor du colonialisme.
D’ailleurs, CHATEAUBRIAND [ix],
LAMARTINE [x], FLAUBERT [xi],
Gérard de NERVAL [xii] en reviendront
déçus. Une esthétique nouvelle, celle du Parnasse et de « l’art pour
l’art », représentée par Théophile GAUTIER et Charles BAUDELAIRE,
abandonne les ruines de la Grèce antique pour les couleurs de l’Orient, tandis
que les promoteurs du réalisme, parmi lesquels Gustave FLAUBERT, Guy de
MAUPASSANT, Georges SAND abandonnent la mythologie et ses héros.
L’écrivain et historien Edgar
QUINET connaîtra successivement les deux amours. S’il commence par la Grèce, en
accompagnant l’expédition de Morée en 1829 [xiii],
il parcourt ensuite l’Espagne, l’Andalousie, Grenade, Cordou, pour finir par
l’Arabie qui lui fera dire ces mots :
« Jamais
pèlerin arrivant du désert, et contemplant la Mecque pour la première fois, ne
fut saisi d’un pareil ravissement. (…) Aucune ville de la Grèce, pas même
Athènes, ne m’avait frappé davantage. » [xiv].
Délaissée au profit de l’Orient,
la Grèce revient bientôt sur le devant de la scène pour des raisons politiques [xv]. A
partir de la moitié du siècle, on prend conscience du rôle central de la Grèce
dans la Méditerranée [xvi].
Deux auteurs nous permettront de suivre cette transition : Gustave
FLAUVERT et Edouard SCHURE.
En 1862 paraît Salammbô.
FLAUBERT écrit désormais un roman historique, à la sensualité décadente. La
fiction se déroule durant la première guerre punique, qui est la première
guerre mondiale de l’antiquité. Rome rencontre Carthage et c’est toute la
Méditerranée qui tremble. Le récit dépasse donc le cadre de l’Orient mais la
Grèce y est absente.
En 1898, Edouard SCHURÉ entreprend
un périple de six mois en Egypte, en Grèce et en Palestine, au terme duquel il
fait publier Sanctuaires d’Orient. La Grèce est la destination d'un voyage initiatique [xvii]. Elle retrouve ainsi le rôle qu’elle tenait aux siècles
précédents, mais cette fois la Grèce n'est qu'une étape d'un voyage qui mène de l'Egypte à Jérusalem.
Dans la deuxième moitié du 19ème
siècle, la Grèce antique devient le symbole de la civilisation occidentale et
du nationalisme montant [xviii].
Le fondateur du symbolisme écrira d’ailleurs : « « Le jour où
j’ai aimé la Seine, j’ai compris pourquoi les dieux m’avaient fait naître en
Attique » [xix]. Plus les racines sont
anciennes, plus elles légitiment la supériorité de la civilisation occidentale
et par extension de son propre pays. Les voyages en Grèce ou de Grèce deviennent
de vrais pèlerinages pour des partisans d’extrême-droite comme le Comte de
GOBINEAU [xx], l’auteur de l’Essai
sur l’inégalité des races humaines, Charles MAURRAS [xxi], le
fondateur de l’Action Française, Thierry MAULNIER, un de ses
collaborateurs [xxii], et Maurice BARRES [xxiii],
qui lança cette terrible phrase : « Que Dreyfus ait trahi, je le
conclus de sa race. ».
Mais pourquoi revenir aux
villages grecs, quand Rome vous offre l’exemple d’un empire ? Ce choix a
sans doute un lien avec la résurrection des jeux olympiques en 1896, puisque
MAURRAS se rendit en Grèce pour témoigner de ses impressions dans une série
d’articles pour La gazette de France qui commença en 1896 et se termina
en 1899.
L’enjeu idéologique de l’antiquité grecque : Sparte vs. Athènes
La description de l’antiquité
grecque comporte un enjeu idéologique pour les historiens du 19ème
siècle. On analysera l’exemple des deux icônes : Sparte et Athènes.
Athènes et Sparte sont deux cités
rivales. Les historiens allemands assimilent la Prusse à la cité de Sparte,
tandis que les historiens français défendent la supériorité d’Athènes sur
Sparte.
Quel est l’intérêt d’assimiler
Sparte à la Prusse ? Sparte est une cité tournée vers la guerre, symbole
de force et de courage, où l’éducation des enfants préfigure celle des
Jeunesses hitlériennes.
Quelle est l’origine des
Spartiates ? Des tribus doriennes étaient censées avoir envahi la Grèce au
cours du deuxième millénaire avant Jésus-Christ et avoir apporté avec elles une
culture non seulement différente de celle de la Grèce archaïque (dieux
ouraniens, société patriarcale, rites funéraires…) mais aussi un art et une
technologie plus avancés (céramique, métallurgie…). En associant les Spartiates
aux Doriens, on associe la cité la plus puissante à la civilisation la plus
évoluée, la force à l’intelligence, ce que les historiens allemands et parfois
français appellent la « race dorienne ».
Or, d’où viennent ces tribus
doriennes ? Ces envahisseurs venaient du nord de l’Europe ou de l’Asie,
tout comme les Aryens qui avaient conquis l’Inde et une partie de l’Europe vers
1700 av. J.C., ce qui supposait une origine commune, dite
« indo-européenne ».
Les historiens français répondent
à ces prétentions en évoquant le désastre engendré par les invasions doriennes
et en vantant les mérite de la seule cité qui y avait réchappé : Athènes.
Dès lors, cette cité occupa pour la France la même place que Sparte pour les
Allemands.
On comprendra à quel point
l’écriture de l’histoire portait les opinions de ceux qui l’écrivait quand on
saura que l’hypothèse indo-européenne ne repose que sur des comparaisons
linguistiques et que l’archéologie remet en cause l’idée que les tribus
doriennes étaient plus évoluées que les Etats mycéniens qu’ils envahissaient :
« Au
cours du XIème siècle av. J.-C. apparaissent des mutations décisives :
invention du style céramique dit « protogéométrique » ;
développement de la métallurgie du fer ; diversification des rituels
funéraires. Ces éléments ne peuvent guère être associés à une arrivée de populations
étrangères pour deux raisons majeures : d’abord les innovations surgissent
dans des zones réservées des destructions, où affluent des populations
mycéniennes réfugiées, comme Athènes ; ensuite, les régions dévastées sont
celles, inversement, où il ne se passe rien » [xxiv].
On pourra même remettre en cause
l’idée d’une invasion, d’autres possibilités étant envisagées par les
historiens modernes : raids violents mais limités, conflits internes entre
Etats mycéniens, accident climatique qui aurait entraînée une famine et des
déplacements de populations, etc. Si l’histoire du 19ème siècle
n’était pas la discipline scientifique que nous connaissons aujourd’hui, c’est
pourtant à cette époque qu’elle se constitua comme une discipline autonome.
Fin
du 19ème siècle : l’antiquité grecque devient le refuge
des idées conservatrices
De la même manière que les
généalogies bibliques, l’histoire permet de légitimer le pouvoir. Quand les
conservateurs (orléanistes, légitimistes, bonapartistes) et les républicains
(socialistes et révolutionnaires) vont s’affronter en France sur le terrain du
pouvoir, ils vont donc s’affronter également sur le terrain de l’histoire.
L’enseignement de l’histoire nous renseigne sur leur relation au pouvoir. Selon
la conception ancienne, issue de l’Ancien Régime, l’histoire doit être réservée
à l’enseignement du secondaire et aux notables qui y ont accès. Les élèves y
apprennent l’histoire de l’Antiquité en même temps qu’ils étudient les textes
grecs et latins. Les professeurs de lettres leur font apprendre par cœur des
textes classiques et la chronologie des règnes.
Une nouvelle conception de
l’histoire émerge progressivement qui sera marquée par la création de
l’agrégation d’histoire en 1830, c’est-à-dire par la création d’un corps de professeurs
spécialisés.
« Le
recours à des professeurs spécialisés transforme radicalement l’enseignement.
L’histoire n’est plus au service des textes classiques ; le rapport
s’inverse et ceux-ci deviennent des sources au service de l’histoire. D’une
histoire qui ne se contente plus de situer chronologiquement les faits, les
auteurs et les monarques, mais vise à comprendre des ensembles. » [xxv].
A la fin du 19ème
siècle, la vision républicaine l’emporte sur celle des conservateurs. En 1880,
l’enseignement de l’histoire devient obligatoire en primaire. L’un des auteurs du programme d’histoire du
secondaire écrit : « L’enseignement historique est une partie de
la culture générale parce qu’il fait comprendre à l’élève la société où il
vivra et le rend capable de prendre part à la vie sociale. » [xxvi].
Cet enseignement soumet les changements historiques à la compréhension humaine,
de telle manière que l’histoire libère l’homme du poids de la tradition et lui
donne les bases pour penser son rôle de citoyen.
Dès lors, l’antiquité grecque
servira de refuge aux idées conservatrices. Les philosophes allemands, en
particulier, vantent les mérites de l’art grec, de sa politique, de sa
philosophie ou de sa langue[xxvii].
Ce sera le cas de HEGEL, SCHELLING, NIETZSCHE et HEIDEGGER, à la différence que
ce dernier était contemporain du nazisme.
Comment l’admiration d’un pays
lointain peut-elle alimenter le nationalisme ? En l’occurrence, il ne
s’agit pas de la Grèce contemporaine mais de la Grèce antique, c’est-à-dire
d’un pays déraciné par l’histoire, d’un pays devenu icône. Karl MARX, qui
n’ignore pas le rapport entre la culture et l’idéologie, n’échappe pas à cette
représentation de l’antiquité : non seulement sa thèse de doctorat porte
sur des philosophes grecs, mais elle est écrite en grec ancien[xxviii].
Edouard Herriot, écrivain |
Début
du 20ème siècle : les mathématiques remplacent les humanités
Si les écrivains des années
folles restent d’abord marqués par jeux olympiques et l’esprit guerrier[xxix],
le ton devient rapidement différent à mesure que l’on s’éloigne de la guerre.
De modèle pour l’homme, la Grèce devient un modèle pour la société et c’est la
culture antique, ses productions artistiques ou littéraires qui attirent
l’attention. L’humanisme l’emporte sur le nationalisme.
Premier signe du
changement : les hommes politiques laissent la place aux écrivains :
Edouard HERRIOT, Jacques de LACRETELLE, Camille MAUCLAIR, Raymond QUENEAU [xxx]...
Deuxième signe du changement : les historiens ne vantent plus les valeurs
de Sparte ou d’Athènes, et l’on remarque même certains archéologues, comme
James FRAZER, Charles DIEHL et Georges G. TOUDOUZE [xxxi],
prendre la plume à leur tour pour relater leurs expéditions en Grèce.
La seconde guerre mondiale brise
cet élan et oblige à reconstruire le pays. La solidarité de l’après-guerre amène
les idées socialistes à se répandre. On comprend les déterminismes sociaux qui
amènent la domination d’une classe sur une autre. On pointe du doigt
l’enseignement du grec et le latin, responsables de reproduire la culture
bourgeoise. On lui préfère les mathématiques, considérées comme plus
égalitaires que les lettres, qui remplacent désormais le latin comme moyen de
sélection de l’élite. De manière plus générale, l’intérêt porté à la culture
antique diminue et l’on se demande si la Grèce antique n’est pas redevenue une
idée, un fantôme, comme au 17ème siècle, si elle n’est pas devenue,
elle aussi, une légende.
Quelle est la réception actuelle
de la culture gréco-latine et de l’antiquité en général ? On pourrait
douter que la vitesse apportée par les transports, Internet, les téléphones
portables, la précipitation des actualités et de la publicité, l’intérêt
angoissé que nous portons à la mondialisation…
soient compatibles avec le mûrissement d’une conscience historique.
Edouard HERRIOT commence d’ailleurs son récit de voyage par ces phrases :
« Ce
promeneur, qui sur le tard de ses jours, se rend en Grèce, il va prendre congé
de ce qui fut le culte secret de toute sa vie. Il se hâtera lentement, selon la
bonne méthode française. Lorsque le sieur de la Guilletière, au beau temps de
Louis XIV, accomplit le Voyage vers Athènes ancienne et nouvelle (…), il
se garde bien d’abréger cette heureuse aventure. » [xxxii].
Le récit date pourtant de 1930.
Est-ce à dire que le voyage en Grèce est une forme de retour sur soi ?
Dans les récits de Jacques LACARRIERE [xxxiii],
écrits trente ans plus tard, le voyageur erre seul, il se perd la nuit, il se
souvient, il imagine… Nous sommes ici
plus proches des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau que du Voyage
de Télémaque de Fenélon. Dans La Grèce des dieux et des hommes,
particulièrement, le récit de voyage tourne en rond, littéralement, puisqu’il
finit par les mêmes mots que ceux par lesquels il a commencés.
Aujourd’hui, l’antiquité grecque
s’est séparée de la mythologie. La culture gréco-latine n’étant plus au centre
du programme éducatif, l’antiquité est devenue l’objet d’une culture savante,
tandis que les pégases, les méduses et les sirènes se sont mélangées à d’autres
créatures dans les contes pour enfants. Pour mesurer l’écart, il suffit de
comparer les péplums italiens des années 50-60 aux productions américains les
plus récentes, Gladiator, Troie, Alexandre, 300 ou Agora :
l’aspect fantastique a disparu et les héros ne s’adressent plus aux dieux.
L’antiquité grecque est devenue une période de l’histoire parmi d’autres.
En somme, la Grèce antique doit
son image actuelle à la culture littéraire du 19ème siècle et à
l’opposition entre deux conceptions opposées de la société, servant tour à tour
les intérêts de l’humanisme et ceux du nationalisme. En se plaçant au premier
rang de la culture au 19ème siècle, l’antiquité grecque a été
victime de son succès et a servi malgré elle les intérêts nationalistes de
l’Allemagne et de la France. Assimilé aux idées conservatrices, l’enseignement
du grec et du latin incarna au 20ème siècle la culture bourgeoise.
Les historiens refusèrent de prendre les mythes au sérieux et le baccalauréat
remplaça les humanités par les
mathématiques. Les dieux grecs se sont-ils envolés ?
Aujourd’hui, l’enseignement de la
philosophie en classe de Terminale continue d’opposer la raison (logos)
aux légendes des héros et des dieux contés aux enfants (mythos), comme
si la Grèce des philosophes n’était pas la même que celles des mythes. Pourquoi
ne pourrait-on pas s’initier à la philosophie en même temps qu’aux aventures
d’Ulysse ? L’enjeu est important : il ne s’agit pas de nostalgie mais
de la compréhension de notre propre culture, d’une part de nous-mêmes et donc d’une
possibilité pour mieux nous connaître. N’est-ce pas ce que conseillait l’oracle
de Delphes ?
[i] Si la ville découverte ne
correspond pas nécessairement à la cité d’Homère, parce que les ruines de Troie
comportent plusieurs strates, Schliemann n’en reste pas moins son premier
archéologue. Il découvrit également Mycènes en 1874, Orchomène en 1880 et
Tirynthe en 1884.
[ii] Michel RAGON, Carnets
de voyage en Grèce, in Connaissance des arts, n°368, octobre 1982, p. 77.
[iii] Jacques HITTORF, Architecture
antique en Sicile, 1827. Jacques HITTORF réalisera plus tard la Gare du
Nord à Paris.
[iv] Michel RAGON, op. cit.,
p. 78.
[v] La polis est la
cité et plus précisément la communauté des citoyens responsables de la cité. La
politique est donc la science du « vivre ensemble ». C’est en ce sens
qu’Aristote dira de l’homme qu’il est un « animal politique ».
[vi] Des comités philhellènes
se constituèrent pour l’occasion et des étudiants français, allemands,
irlandais, suisses participèrent au combat. En 1823, le poète George-Noel
GORDON, plus connu sous le nom de Lord BYRON, il est élu au Comité grec de
libération contre la domination turque. Il part soutenir les Grecs. En 1824, il
meurt à 36 ans, après trois mois de forte fièvre. La Grèce décréta un deuil
national. En 1826, Eugène DELACROIX intitule un de ses tableaux La Grèce sur
les ruines de Missolonghi, peint quand la ville fut assiégée en 1826. Pour
se donner un aperçu du soutien dont bénéficia la Grèce à cette époque, on
pourra lire le roman de Gustave Georges TOUDOUZE, La dernière des Spartiates
(1821), Paris, Hachette, 1909.
[vii] Voir l’ouvrage de Salignac
de La Mothe-Fénelon de FENELON, Les aventures de Télémaque, fils
d’Ulysse par FENELON, 1699, les neuf volumes de l’abbé BARTHELEMY ou la
version abrégée du Voyage du jeune Anacharsis, 1787, et son pastiche
d’Etienne François de LANTIER, Les voyages d'Anténor en Grèce et en Asie,
avec notions sur l’Egypte, publié en 1798, qui prend pour prétexte
l’immortalité du comte de Saint Germain, 1798.
[viii] Voir Jean-Claude
BRECHER, Le voyage en Orient, anthologie des voyageurs français dans le
Levant au XIXème siècle, Robert Laffont, collection Bouquins, 1985.
[ix] François-René de
CHATEAUBRIAND parcourut la Grèce, l’Asie mineure, la Palestine et l’Egypte en
1806 et composa L’Itinéaire de Paris à Jérusalem à son retour en France,
paru en 1811. Il conclut ainsi son périple en Grèce : « En vain, dans
la Grèce, on veut se livrer aux illusions : la triste vérité vous
poursuit. ».
[x] Alphonse de LAMARTINE
visite la Grèce, le Liban et Jérusalem en 1832. Son voyage lui inspire
plusieurs livres, dont Souvenirs, impressions, pensées et paysages, pendant
un voyage en Orient (1832-1835), Bruxelles, Louis Hauman et Comp,
libraires, 1835. Il y compare la Grèce à un tombeau dépouillé de ses ossements.
[xi] Dans son Voyage en
Orient (1849-1851), en compagnie de son ami Maxime Du Camp, l’Egypte occupe
la place principale, puisque son parcours du Nil dure quatre mois. Le récit
alterne entre les impressions esthétiques de Flaubert et sa nostalgie de Rouen.
On remarquera d’ailleurs la conclusion de ce voyage : il entreprend la
rédaction de Madame Bovary en 1851, un roman dont l’intrigue se déroule
en Normandie, et se fâchera en 1852 avec Du Camp.
[xii] Gérard de NERVAL, Voyage
en Orient, 2 tomes, 3ème édition, Paris, Charpentier, 1851.
Après s’être exclamé, en citant Homère : « C’est vraiment l’aurore
aux doigts de rose qui m’ouvrait les portes de l’Orient qui m’ouvrait les
portes de l’Orient », voici ce qu’il écrit : « Voici mon rêve…
et voici mon réveil ! Le ciel et la mer sont toujours là ; le ciel
d’orient, la mer d’Ionie se donnent chaque matin le baiser d’amour ; mais
la terre est morte, morte sous la main de l’homme, et les dieux se sont
envolés ! » (Voyage en Orient, tome I, Introduction, Vers
l’orient, XII, p. 56).
[xiii] Il écrira à son retour De
la Grèce moderne, et de ses rapports avec l’antiquité, F.-G. Levrault,
Paris, 1830.
[xiv] Edgar QUINET, Je sens
brûler le nom d’Allah, texte de 1843.
[xv] La Guerre d’Indépendance
de la Grèce face à l’Empire ottoman s’étale de 1821 à 1830. Le sacrifice des
Grecs lords du siège de Missolonghi en 1824 et la mort de Lord BYRON, parti
comme volontaire, précipite l’intervention des grandes puissances (France,
Royaume-Uni, Russie) à partir de 1827.
[xvi] Une compagnie française
construira d’ailleurs le canal de Corinthe en 1893.
[xvii] Qui sait la part qu’a
pu jouer, dans le choix de cette étape, sa rencontre avec Marguerite d’ALBANA
MIGNATY, en 1871 ? Son idylle était en effet d’origine grecque.
[xviii] La Grèce elle-même n’y
échappera pas. Tout au long des années 1870, la Grèce fait pression sur
l’Empire ottoman pour qu’il lui cède l’Epire et la Thessalie pour constituer un
royaume uni (la Megali Idea). En 1871, tente d’envahir la Crète, en
désaccord avec ses précédents alliés (France, Royaume-Uni, Russie). A la suite
d’une Guerre de Trente Jours, elle subit une défaite face à l’Empire ottoman.
[xix] Jean MOREAS, de son vrai
nom Ioánnis A. Papadiamantópoulos, Le voyage de Grèce, Paris, Editions
de la Plume, 1902, Editions d’Aujourd’hui, 1977, p. 99.
[xx] Joseph Arthur de GOBINEAU
publia deux articles sur la Grèce : Capodistrias et Le royaume
des Héllènes dont la date de publication se situe entre 1840 et 1848.
[xxi] Charles MAURRAS, Le
Voyage d'Athènes (1896-1899) et Anthinéa : d’Athènes à Florence,
1901.
[xxii] Jacques TALAGRAND,
alias Thierry MAULNIER, Cette Grèce où nous sommes nés, 1964.
[xxiii] Maurice BARRES, Le
Voyage de Sparte, 1906.
[xxiv] Annie
SCHNAPP-GOURBEILLON, L’invasion dorienne a-t-elle eu lieu ?, in L’histoire,
n°48, septembre 1982, p. 53.
[xxv] Antoine PROST, Douze
leçons sur l’histoire, Paris, Editions du Seuil, collection Points Histoire,
1996, I, pp. 19-20.
[xxvi] Charles SEIGNOBOS, Etudes
de politique et d’histoire, Paris, PUF, 1934, « L’enseignement de
l’histoire comme instrument d’éducation politique », pp. 103-104. Le texte
est repris d’une conférence de 1907.
[xxvii] Voir HEGEL, SCHELLING
et NIETZSCHE.
[xxviii] Karl MARX, Différence
de la philosophie de la nature chez Démocrite et Epicure (Differenz der
demokritischen und epikureischen Naturphilosophie), 1841.
[xxix] Maurice GENEVOIX, Vaincre
à Olympie, 1922.
[xxx] Edouard HERRIOT, Sous l’olivier, en 1930, Le
demi-dieu ou le voyage de Grèce de Jacques de LACRETELLE en
1931 ; Le pur visage de la Grèce de Séverin FAUST, dit Camille
MAUCLAIR, en 1938 ; Raymond QUENEAU qui effectua un voyage de cinq mois en
Grèce en 1932, qui inspira le roman Odile en 1932 et le recueil
d’articles intitulé Voyage en Grèce publié en 1973..
[xxxi]
Sir James George FRAZER, Sur les traces de
Pausanias à travers la Grèce ancienne, qui précèdent la traduction de la Description
de la Grèce de Pausanias en anglais, en 1923 ; Charles DIEHL, Excursions
archéologiques en Grèce, 1934 ; Georges Gustave TOUDOUZE, La Grèce
au visage d'énigme de Poestum à Mycènes, d'Agrigente à Troie, de Ségeste à
Knossos, 1923.
[xxxii] Edouard HERRIOT, Sous
l’olivier, Paris, Hachette, 1930, p.7.
[xxxiii] Jacques LACARIERE a
écrit plusieurs récits de voyages, parmi lesquels La Grèce des dieux et des
hommes, 1965 ; L’été grec : une Grèce quotidienne de 4 000 ans,
Paris, Plon, 1976, ; Promenades dans la Grèce antique, 1978, Hachette
(éd. commentée et ill. des Voyages de Pausanias).
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