mercredi 24 octobre 2012

Y avait-il du chômage dans l'antiquité ?

Le vendredi 26 octobre 2012, les médias annoncent une augmentation du chômage de 1% en septembre, en hausse continue depuis mai 2011.

La crise de la dette n'est pas la seule cause. Si le chômage était côté en bourse, il serait continuellement à la hausse sur les périodes longues et ponctuellement en baisse sur les périodes courtes. En effet, depuis les crises pétrolières des années 70, le chômage dépasse (presque) partout le minimum structurel de 3%. Les politiques ont cessé de vouloir le ramener à son niveau qu'il avait dans les années 60, 70 ou même 80, ils le considèrent aujourd'hui comme une donne économique, tant est si bien que le business des entreprises de travail temporaires est devenu un indicateur pour la santé des entreprises en France.
En réalité, le chômage est un élément essentiel de notre société : il impacte les relations des salariés à l'entreprise, la négociation des salaires, la flexibilité du travail,  la gestion des ressources humaines, la formation tout au long de la vie, la mobilité géographique, la consommation d'antidépresseurs, etc. Le travail est devenue une valeur d'autant plus grande qu'elle devient une denrée rare, thésaurisée par les CSP+ et les chefs d'entreprise "qui ne comptent plus leurs heures de travail", tandis que les demandeurs d'emploi multiplient les boulots à temps partiels, les "jobs alimentaires".

L'antiquité connaissait-elle également ces problèmes ? Y avait-il du chômage dans l'antiquité ? Comment faisait-on pour travailler ? Avait-on des droits ? Combien gagnait-on ? Est-il plus avantageux de travailler à notre époque que durant l'antiquité ?

Tout d'abord, l'antiquité, c'est un peu vague, elle comprend l'histoire d'une centaine de cités sur des centaines d'années. Par exemple, les Athéniens sans travail, comme les Alexandrins sans argent, attendaient simplement sur les places qu'un chef de chantier les appelle pour travailler. La main d'oeuvre n'était pas diplômée mais elle était disponible et corvéable à merci.

Cette absence de droit du travail ne signifie pas une absence de règles tacites. Ainsi, on relève la première grève de l'histoire en Egypte sous le règne de Ramsès III(-1157) : les ouvriers refusèrent de travailler suite à un retard de ravitaillement.

Encore faut-il ne pas être né esclave ou réduit en esclavage suite à la guerre. Les esclaves qui travaillent dans les mines sont les moins bien lotis, tandis que ceux qui travaillent sur en ville, comme des domestiques, peuvent occuper des postes à responsabilité. Ils deviennent artisans, chefs de chantier, précepteurs... C'est particulièrement frappant à Rome où l'esclave pouvait s'enrichir et racheter sa liberté (cette possibilité existait également dans le Code Noir, au 17ème siècle, même s'il n'est pas sûr qu'elle ait été appliqué).

D'un certain point de vue, les salariés précaires, les stagiaires, pourraient être comparés aux esclaves romains. La différence principale est que le salarié loue son temps de travail à l'employeur, tandis que l'esclave doit acheter sa liberté. Le cadre qui ne compte pas ses heures est finalement plus proche de l'esclave que le salarié, car il doit s'investir corps et âme, intérioriser les contraintes de son entreprise et prendre pour siens les objectifs de son supérieur hiérarchique. Les Japonais en savent quelque chose, eux qui inventé le karoshi (mort par la fatigue au travail).


Le travail lui-même était l'attribut de l'esclave, le loisir celui du noble ou du citoyen. Le mot même de "travail" viendrait du mot latin tripalium qui est un chevalet de torture. Nous ne vivons plus aujourd'hui de pareils extrêmes, à moins de travailler dans les ateliers clandestins ou de faire partie des 1500 Français qui gagnent un revenu annuel supérieur à 1 million d'euros. En général, nous travaillons et nous avons des loisirs. Nos loisirs sont pourtant rarement les mêmes que ceux des citoyens et des nobles d'autrefois : peu de nous s'engagent en politique, développent des dons artistiques ou dirigent une entreprise. La plupart de nos loisirs sont des loisirs de consommation qui font travailler d'autres esclaves-salariés. Du pain et des jeux, disait déjà César...

La question du salaire est délicate à une époque où la monnaie n'était pas la seule valeur d'échange : il y avait non seulement du troc mais également des statuts sociales qui obligeaient les plus riches de redistribuer une partie de leur richesse à la population. En Grèce, les riches propriétaires avaient pour obligation de financer les fêtes, les sacrifices, les concours de théâtre, de musique et la construction des navires de guerre. Ils en retiraient de la gloire personnelle, puisque le peuple leur en était reconnaissant. A Rome,   l'homme de la plèbe, le client, se levait tôt le matin pour aller présenter ses hommages à son patron, un patricien (aristocrate), afin de bénéficier de biens ou de services. En échange, le client accompagne son patron au forum, le protège physiquement, vote pour lui aux assemblées et milite en sa faveur. La relation de clientélisme s'intègre dans la relation du don et du contre-don observées dans les sociétés archaïques. Elle est persistera au moyen âge (le chevalier fait serment à son seigneur), jusqu'au aujourd'hui, au sein de la mafia.

Avoir un travail ne suffit pas si les ressources ne permettent pas de nourrir tout le monde. Entre le 14ème et le 8ème siècle avant notre ère, les cités grecques exilèrent pour cette raison une partie de leurs populations en Italie (la Grande Grèce), en Gaule (Massalia, qui deviendra Marseilles), en Afrique (Cyrène, Naucratis), en Anatolie (Milet, Colophon, Halicarnasse...) et sur les bords de la Mer noire (Olbia, Héraclée du Pont...). Ces colonies créèrent parfois elles aussi d'autres colonies. Elles créaient de véritables réseaux d'influence pour les cités mères dont elles étaient issues. Elles participèrent également au développement de la culture grecque dans le bassin méditerranéen.

Les Romains déportèrent également certaines populations parmi celles qu'ils avaient vaincu, comme les Ligures des Alpes en -180, déplacés dans la région des Samnium, au centre de l'Italie. On pourrait les comparer à ces dirigeants de multinationales qui délocalisent et proposent aux salariés français de travailler en Roumanie pour 400 euros par mois, mais la comparaison ne serait pas adéquate : la mobilité avait des raisons politiques à l'époque romaine, elle a aujourd'hui des raisons économiques. Cela justifiera peut-être l'expression de "guerre économique" utilisée par certains journalistes.

On le voit, le travail dans l'antiquité était lié à une organisation sociale qui n'existe plus aujourd'hui et à des périodes de guerre et de famine qui sont devenus moins fréquents. Pourtant, de nombreux rapprochements peuvent être faits entre le salariat et l'esclavage. La seule différence réside dans la notion de propriété : le maître s'approprie le corps de l'esclave, tandis que l'employeur recrute le salarié pour une tâche ou pour un temps donné.

Le corps de l'homme moderne est sa propriété exclusive. Cette mise à distance du corps d'autrui interdit l'esclave mais aussi toute forme de violence physique, tout asservissement sexuel, toute manipulation génétique. Lever cet interdit revient à redonner la possibilité aux rapports sociaux d'exercer une contrainte sur les corps des individus. Ainsi, autoriser les punitions physiques, la prostitution ou le clonage humain, c'est autoriser un retour à la violence.

Dans l'antiquité, le rapport au corps était différent. L'individualisme n'était pas encore apparu, l'homme faisait toujours partie d'un ou plusieurs groupes sociaux : la cité tout d'abord, mais aussi l'assemblée du peuple (l'ecclesia), le conseil des cinq cents (la boulè), les différents corps de métiers, les sectes, les familles...). Le corps physique était soumis au corps social. Le corps du citoyen dans la phalange, le corps de la prostituée à Babylone, le corps de l'esclave romain compté parmi les biens, toutes les obligations sociales exerçaient des contraintes sur le corps.

Nous n'avons pas aujourd'hui, dans nos sociétés post-industrielles, de contraintes similaires sur le corps. L'on pourrait cependant considérer que les problèmes de dos et la dégradation de la vue sont des effets d'un travail qui s'effectue de plus en plus en bureau, en position assise face à un ordinateur. De même, les infirmières qui enchaînent les nuits à l'hôpital mettent leur santé en péril en même temps que celui de leurs patients. Ajoutons à cela les Troubles Musculo-Squelettiques, le harcèlement sexuel et l'obligation de pointer, et nous nous apercevrons que les contraintes physiques n'ont pas entièrement disparues de nos conditions de travail.

___

BIBLIOGRAPHIE :

  • BARBERO Alessandro, Barbares, Immigrés, réfugiés et déportés dans l'Empire romain, Tallandier, coll. Texto, Paris, 2011.
  • De COULANGES Fustel, La cité antique, 1864.
  • LABARDE Philippe et MARIS Bernard, Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie !, Albin Michel, Paris, 1998.
  • LEVEQUE Pierre, L'Aventure grecque, Armand Colin, Paris, 1964.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire